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Le camp attaqué

avatjau atjau Lettre vert lasoutjau

Lettre

Dimanche,



Je vais essayer de raconter un peu comment s'est passée notre aventure de jeudi. Donc, la veille au soir et d'ailleurs toute la journée des inspecteurs en civil se promenaient dans les alentours. Il y en a même un qui est venu dans la châtaigneraie, avant d'arriver au pré de Robert. Alors , on a fait des patrouilles et le soir à 8 heures, le chef et Arthur ont vu passer une auto sur la route de Chabannes qui avait le fanion tricolore. Deux types sont descendus et sont entrés dans le bois, dont le premier était un peu plus avancé. Alors le chef lui a crié " Halte là ! " par deux fois , et comme il n'obéissait pas il a tiré un coup de revolver sur lui. Alors à ce moment, les deux ont sauté dans la voiture et sont repartis à vive allure. Le coup avait été très bien tiré puisqu'il est mort en arrivant à La Souterraine.
Après , on s'est bien douté qu'il allait y avoir certainement quelque chose contre nous. Mais on croyait pas que l'attaque allait si vite être arrivée, et ma foi, on ne s'en faisait pas de trop. On avait réparti les armes et on attendait. La nuit a été calme, mais le martin à 5 heures, les gardes mobiles étaient déjà arrivés sur la chaussée, et il faisait un drôle de brouillard. On ne voyait pas à dix mètres.
A 5 heures, une patrouille de notre camp part faire une ronde et quelques minutes plus tard, les gars qui étaient de garde sont partis à leur poste. Le frère à Chevalier de Guéret allait aux sapins de la chaussée de l'ancien étang et ma foi aussitôt arrivé, il voit des formes qui remuaient dans le brouillard à une quinzaine de mètres de lui. Il a fait les sommations et ma foi comme ils avançaient toujours, il a tiré une dizaine de coups de mitraillette pour nous alerter et pour essayer de les arrêter.
La riposte est venue de suite, mais ils se sont cachés immédiatement. Je te prie de croire qu'au camp, nous nous arrachions des couvertures en vitesse et les souliers étaient enfilés de suite. Nous avons pris chacun notre arme et nous sommes partis en vitesse vers le point attaqué, car quelques coups de feu se faisaient encore entendre. Arrivé aux sapins, j'ai vu Chevalier et son frère qui guettaient, et là on s'est aperçu que c'était des gardes mobiles. Je t'assure que ceux qui avaient le malheur de se découvrir, rentraient la tête en vitesse dans leur cachette, car on ne les ménageait pas et on prenait bien soin de les ajuster le plus possible. Le malheur est qu'il faisait un peu trop de brouillard, car on ne pouvait pas bien les distinguer. Mais eux aussi ne nous amusaient pas et ils avaient déjà pris deux sentinelles, dont un était celui qui était arrivé avec le chef. J'ignore quel était l'autre. Ils nous tiraient avec des balles explosives et aux fusils mitrailleurs.
Quand ils ont vu , qu'ils ne pouvaient pas avancer par le pacage à Robert et le pré de Moneirat, ils ont essayé de ce côté, mais ils n'ont pas mieux réussi. Alors ils ont attendu du renfort qui est arrivé. Le premier à 6 heures, et le deuxième à 7heures 30. A ce moment, la fusillade n'a plus arrêté. Mais la lutte était trop inégale, car ils étaient dans les 250 contre une vingtaine de nous qui étions armés et encore pas très bien.
On a tenu jusqu'à 9 ou 10 heures et là on a décidé de se replier dans la direction de Chabannes, car c'était le seul point qui n'était pas cerné. A ce moment, ils sont arrivés à 10 mètres de nous au camp, au moment où nous partions, en nous criant : " haut les mains ! ". Mais personne n'écoutait et chacun voyait son salut dans la fuite. Ils tiraient sur nous presque à bout portant, mais nous n'avons pas eu trop de pertes.
Le frère de Chevalier, a été blessé à la cuisse, mais il a pu nous suivre quand même. Heureusement pour lui, car on n'aurait pas pu l'emporter. Maintenant, il y en a peut-être qui ont été pris au camp, mais je n'en sais rien, car on ne regardait pas derrière nous. Je ne sais pas, à quel endroit Marcel Aucomte a été pris, mais c'est bien malheureux. Nous nous sommes retrouvés à la sortie du bois de Chabannes 31 et on est passé par Tancognaguet et Cros. Là, je suis monté avec Chevalier et son frère qui commençait à souffrir à l'Age au choux, où le docteur est venu le chercher. Je suis resté avec René et Chevalier jusqu'à hier soir.
Je t'assure que ce n'était pas beau, le soir ils étaient arrivés 800 autour du bois. Tu te rends compte 20 contre 1 . Le principal est de s'en être tiré sans trop de pertes, mais c'est bien malheureux pour les 5 qui ont été pris. Je me demande ce qu'il vont en faire.



Cette lettre a été écrite par Emile LAURENT réfractaire du camp de Montautre. Elle est adressée à Camille VAUGELADE également réfractaire. Ce dernier avait quitté le camp depuis une dizaine de jours en raison de problème de santé . La lettre n'est pas signée. Elle relate avec précision l'attaque du camp de Montautre. Elle a été conservée par Madame Marie PASQUET qui habitait au Fôt (La Souterraine) à l'époque et dont le mari Edmond fut membre du comité de Libération de La Souterraine. Quelques précisions sur des personnes citées.
Le Chef : René Boussin.
Le pré de Robert : Robert Thévenot de Montoys ( Saint Pierre de Fursac)
René : René Simonet.
L'Age au Choux : Domicile de la famille Simonet.