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Le camp attaqué

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A La Souterraine on réagit à l'attaque de Montautre.

Dans le livre "Le temps du maquis" (première édition) pages 153 à 156 Marc Parrotin a écrit :

Réaction populaire
Jeudi 19 août
Le camp de Montautre est attaqué!
Cette nouvelle bouleversante nous parvient vers midi.
Je cours donner l'alerte aux Gandys où fébrilement, nos F.T.P. se préparent au combat, en attendant des ordres précis. Ils vont partir en renfort.
Désireux de les suivre, je leur fixe un rendez-vous au taillis du Cheix où je les rejoindrai à vélo alors qu'ils iront à pied à travers champs. En attendant, aidé de Robert Jallet, je déménage une partie du matériel du camp et nous l'entreposons dans la ferme de Marcel Cadert, au-dessus du poulailler.
Je ne retrouve pas, au Cheix, le groupe d'Estienne d'Orves. Il a dû éviter d'emprunter la chaussée de l'étang où se baguenaudent des promeneurs, et, par les pacages, gagner le village de Bridiers d'où il est reparti vers le hameau du Pommier, de St-Maurice.
Je vais aux nouvelles. A l'hôtel Mathé, le « point de chute » du trio de direction, le brave Auguste Coulon, responsable du F.N., m'annonce qu'on mobilise pour ce soir tous les camarades du parti afin de créer une diversion pour dégager le camp de Montautre. En ville, me dit-il, se prépare une manifestation. Me voici place de la mairie où stationnent quelques groupes d'ouvriers, en particulier des maçons, entourant Henri Pluyaud. Ils attendent qu'arrivent d'autres manifestants. L'alerte a été donnée par Albert. Il est passé très tôt à l'école maternelle où la directrice, Mlle Cerbelaud l'héberge depuis quelque temps. Pâle, la figure crispée par l'émotion, il a déclaré: « Les légaux vont monter en renfort. Pour cela, il nous faut un camion afin de transporter les armes et les munitions qui ont enfin été parachutées cette nuit. Les "containers" sont dans la région de Leyport, mais sans véhicules, il est difficile de les ramener ici ». Madame Dupoux, une institutrice sympathisante, se rend chez B... (un responsable des M.U.R) qui la renvoie chez M... (un autre responsable), lequel ne promet rien. Le temps passe. Devant le résultat négatif de ces démarches près des gaullistes, il faut agir. Albert part à vélo. Il chargera sur son porte-bagage tout ce qu'il pourra rapporter.
Jean-Claude va s'occuper de la ville. Il prend un rapide contact avec les militants et les sympathisants. Les esprits sont surexcités et la révolte gronde. Dès l'aube, dans le quartier du Puy Charraud, on a perçu l'écho lointain d'une fusillade en provenance du nord-ouest. On a tout de suite compris que le Maquis était attaqué. Une vive émotion s'est emparée de la population laborieuse et a gagné, de proche en proche, créant une agitation insolite et fébrile. D'abord, de petits groupes se sont formés et ont discuté, tout en écoutant les échos de la bataille, du combat du Maquis et de sa lutte approuvée, contre les collabos. On a vu arriver en ville des renforts de gendarmes casqués et armés appelés des cantons voisins. Puis, peu après midi, un car bondé de policiers des G.M.R., les fusils et les mitraillettes braqués aux portières, a débouché de la route de Paris, venant d'Argenton, et traversé la ville pour se diriger vers St-Maurice.
L'angoisse populaire s'est alors exprimée. Les femmes ont crié :
« Ils se dirigent vers les bois ! Ils viennent pour tuer nos petits gars ! »
Deux autres cars de G.M.R. ont suivi. Leur passage a engendré l'indignation plus que l'affolement. Les rideaux de fer des magasins ont été baissés. Les portes se sont fermées.
« On tire sur nos gars ! » a dit Jean-Claude aux camarades contactés. Alertez les amis sûrs dans chaque quartier. Henri Pluyaud s'occupera de celui de la Roudière. Comme le feu sur une traînée de poudre, le mot d'ordre a couru la ville: « Tous à la mairie ! ». Moins d'une heure plus tard, une centaine de femmes et d'ouvriers piétinent impatients les pavés de la place de l'hôtel de ville. De la foule qui grossit, partent des cris de colère :
« Ce sont les collabos d'ici qui ont demandé la police, pour protéger leur précieuse personne !
On tue nos maquisards !
- Il faut arrêter ça ! »
Les manifestants gravissent les marches du perron de la mairie. Une femme s'adresse au concierge :
« Nous voulons voir le Maire.
- Monsieur Ternadeau est absent.
- Celui qui le remplace.
- C'est le général Fuillon. Il est chez lui.
- C'est lui qui a appelé la police de Vichy ! Allons le chercher, s'écrient les manifestants. »
La colonne des patriotes, grossissant d'une rue à l'autre, se dirige vers la demeure du représentant de l'Autorité, à quelques centaines de mètres seulement de la place. Un ouvrier ouvre le portail de la cour, et, personne ne répondant à son appel. entre, suivi de la foule. A une fenêtre du rez-de-chaussée, FuilIon se montre, tête nue, vêtu d'une veste de pyjama à rayures roses.
« Il va au lit !
- Il se couche tôt, paraît-il! »
La femme du Médecin-Général pousse des cris apeurés et court décrocher le téléphone. On s'en doute, elle veut prévenir la police. Un manifestant l'en empêche. Des cris s'élèvent :
« On tue nos enfants !
- Faites cesser le feu !
- A bas Vichy ! »
FuilIon, affolé, fait signe qu'il a quelque chose à dire :
«Je ne parlerai qu'à une femme!»
Alors, Madame Rettier, une mère de prisonnier, s'avance calme et digne:
« On se bat entre Français à quelques kilomètres d'ici. Vous en êtes responsable et devez intervenir pour arrêter cette chose horrible ! »
De toutes parts, des cris s'élèvent bientôt scandés par la foule : « A la Mairie ! A la Mairie ! ».
Le général, tremblant de peur et sur le point de défaillir devant ce qu'il appelle une émeute, sort de chez lui, en pantoufles, ayant à ses côtés Madame Rettier. Le retour de cette manifestation empruntant les rues tortueuses ne manque pas de pittoresque. En tête et bien encadré par des femmes résolues, le vieux médecin général, homme de petite taille, au ventre bedonnant, au visage poupard et à la mèche ébounffée qui flotte sur une grosse tête ronde. Il doit se sentir ridicule dans son accoutrement inusité pour un défilé ; cette bonne ville de La Souterraine qu'il ne reconnaît plus lui semble hostile et inquiétante de partout. De chaque côté de la Mairie, des retardataires, en curieux, font la haie.
On demande au représentant de Vichy de téléphoner à son gouvernement. Il gravit, comme dans un cauchemar, les larges marches de granit.
Des voix s'écrient:
« Un témoin !
- Il faut un témoin !
- Accompagnez-le, Madame Rettier ! »
La déléguée va suivre la conversation téléphonique car la confiance en ce vieux Pétainiste est limnitée. Plusieurs mninutes s'écoulent dans un silence lourd d'angoisse. Des gendarmes, armés, sont arrivés mais attendent dans une prudente neutralité, près de l'entrée. Enfin, Madame Rettier, très digne, sort, suivi d'un Fuillon grotesque, au visage décomposé.
« Mes amis, déclare à la foule attentive, cette courageuse sostranienne, le général a demandé la préfecture de Guéret, puis celle de Limoges. On lui a répondu que lorsque la police était en oeuvre, il fallait que les opérations suivent leur cours, mais que le nécessaire serait fait auprès des chefs ».
Alors, sous l'imnpulsion de Jean-Claude et d'Henri Pluyaud, la Marseillaise est entonnée et tout de suite reprise en choeur par l'ensemble des manifestants. Quand le chant s'arrête, les gendarmes donnent l'ordre de se disperser, arguant du fait que le gouvernement, quelques jours plus tôt, a interdit les rassemblements de plus de trois personnes sur la voie publique.
Le général s'apprête à traverser seul les rangs des patriotes, mais un coude à coude hostile lui rend le passage impossible. Bloqué, il gesticule et, tourné vers les représentants de la maréchaussée, appelle à l'aide :
« Chef! Chef !...
- Hou ! Hou ! il a peur !
- A bas Fuillon ! A bas FuilIon !
- Démission ! Démission ! scande la foule tandis que des huées montent de partout. Les gendarmes essaient de se frayer un passage parmi les manifestants qui les narguent et continuent à conspuer le collabo. Enfin, il pourra rentrer chez lui, solidement escorté, tandis que sur un mot d'ordre, trois par trois, les manifestants se rendent sur la place d'Armes, au nord de l'église. Leur cortège s'allonge tout au long des rues, grossi par des retardataires qui se plaignent d'avoir été alertés trop tard.
On apprend que, dans les bois de Montautre, le combat a cessé et que les réfractaires ont pu se replier sans trop de pertes. Ces nouvelles détendent un peu la foule ardente et passionnée. Maintenant, avant de se séparer, ces femmes, ces travailleurs qui se sont levés pour défendre le Maquis, se félicitent de leur courageuse manifestation.